Eren se prit un sceau rempli d’eau en pleine nuque. C’était le cinquième depuis qu’il arrivé au QG. Il se retourna avec une grimace de colère. Le capitaine Levi se tenait dans l’encadrement de la fenêtre au-dessus de lui. Il arborait son petit sourire en coin, et faisait le chiffre cinq avec ses doigts. Eren répondit, rageur :
- Je fais ce que je peux !
- Il semblerait que ce ne soit pas assez.
La réponse était catégorique, comme toujours, lui avait-on expliqué, avec Levi Ackerman. Il n’y avait pas de dialogue possible avec lui, et Eren était bien trop intimidé pour répliquer quoique ce soit. Levi avait d’ailleurs déjà disparu dans la pièce depuis laquelle il avait visé Eren. Dès que celui-ci fut seul, il singea son supérieur, et partit vite sous un perron, se disant que, ainsi caché, nul sceau ne pourrait le surprendre.
Le QG des Eclaireurs était un vieux manoir utilisé uniquement dans des occasions exceptionnelles. De ce fait, quand Eren et les membres de la Brigade des Opérations Spéciales étaient arrivés sur place, ils avaient trouvé un bâtiment poussiéreux. Le capitaine Levi, à peine après avoir posé un pied à l’intérieur, était ressorti en toussotant et avait prétexté qu’il était impensable qu’il loge dans une tête crasse. Et, comme toute décision émanant de lui qu’on surnommait « l’homme armée » était absolument indiscutable, chacun s’était attelé à une tâche réjouissante et passionnante : le grand ménage du QG.
Eren, pour une raison qui lui échappait encore, avait d’emblée était jugé comme trop lent et pas assez efficace dans son nettoyage. Ainsi, pour lui faire travailler ses réflexes, Levi lui jetait des sceaux d’eau dès qu’il en avait l’occasion. Eren se doutait qu’il ne s’agissait que d’un autre moyen de l’humilier, ce en quoi la punition fonctionnait tout à fait, car le garçon avait été trempé de la tête au pied en moins d’une heure.
Sous la protection du perron, Eren s’assit contre la porte, laissant tomber ses torchons. Il se massait sa nuque douloureuse quand Petra Ral, la seule femme de la Brigade, qui traversait la cour intérieure, le remarqua :
- Eh bien, Eren, déjà fatigué ?
Il sourit, réconforté qu’enfin quelqu’un se préoccupe de son sort. De plus, il aimait bien Petra, car même si elle passait pour une guerrière hors pair, elle se montrait chaleureuse avec lui, et infiniment plus compréhensive et douce que son capitaine, pour ne viser personne. Puis, haussant les épaules, Eren chercha à se justifier, car il ne voulait pas non plus passer pour un fainéant impressionnable devant la seule personne qui lui montrait de la compassion :
- Je ne savais pas que passer la toile pouvait être si exténuant !
- Oh, ça l’est, lui concéda la jeune femme. Mais si tu dois rester avec nous un certain temps, autant t’y habituer : le capitaine est un grand maniaque !
Eren leva les yeux au ciel : est-ce qu’il venait vraiment de se faire engager par un tueur de titan professionnel obsédé par la propreté ? Et, en fait, ces deux critères n’étaient-ils pas radicalement incompatibles ?
- Tiens, quand on parle du loup…
Eren ne comprit l’allusion de Petra que quand la porte dans son dos s’ouvrit. Fatalement, comme il était adossé contre elle, il s’étala par terre, chose qui lui arrivait un peu trop souvent à son goût depuis quelques temps. Il remarqua alors que Levi Ackerman en personne se trouvait au-dessus de lui, le toisant comme s’il avait été le plus immonde des déchets de toute cette planète. Eren s’apprêtait à se relever, mais Levi s’accroupit et posa une main sur son torse pour l’empêcher de bouger. Penché u dessus du garçon, le capitaine plongea son regard dans le sien :
- Alors, on refuse de faire ce que je dis ?
- P… Pas du tout ! Je faisais juste une pause !
- Une pause ?
Levi rapprocha encore son visage de celui d’Eren, si près qu’ils se touchaient presque.
- Tu feras une pause quand je t’ordonnerai de faire une pause. C’est clair ?
Eren déglutit et balbutia un « oui » à peine audible. Levi se releva :
- N’oublie pas que tu es en mon pouvoir, ajouta-t-il. Je peux te faire faire ce que je veux… A commencer par nettoyer cet horrible manoir dégoûtant.
Cela dit, Levi retourna sur ses pas, cachant son visage par son foulard blanc afin de se protéger de la poussière ambiante.
Eren ne s’était jamais senti aussi ridicule de toute sa vie. Même au procès, alors qu’il avait été lynché jusqu’à l’évanouissement, il s’était résigné à son sort, sentant – à juste titre – que cela était nécessaire et que de ce passage éprouvant résulterait sans doute sa libération et le début de sa nouvelle vie. Même toutes les fois où il avait été humilié face aux autres recrues de la 104e recrue il avait pu se rassurer en se disant qu’il devait bien passer par là pour espérer progresser un jour. Même quand il n’était qu’un petit garçon et qu’il se sentait rabaissé face à Mikasa qui pouvait porter deux fois plus de rameaux que lui, qui courait deux fois plus vite et qui comprenaient toutes les leçons deux fois plus rapidement, Eren se disait que Mikasa méritait tout autant que lui toutes les gloires. Mais là, face à Levi Ackerman, et pour une raison aussi insignifiante qu’une corvée ménagère, non, ça n’était pas possible. Quoi, il n’avait tout de même pas enduré mille souffrances pour se retrouver à passer la toile dans un manoir ?? Son entraînement ne pouvait pas se résumer à se prendre des sceaux d’eau sur la tête ??
D’autant plus qu’à cela s’ajoutait la tendre indifférence que lui portait les autres membres de la Brigade, qui ne lui adressait la parole que pour le réprimander ou alors lui faire remarquer qu’il ne s’y prenait pas de la bonne manière pour faire telle ou telle chose. Même Petra, qu’il avait pourtant cru être son alliée, faisait corps avec les autres. Quant à Hansi, le commandant était tellement préoccupé par cette histoire d’humain capable de se transformer en Titan que l’intégration d’Eren dans l’équipe était le cadet de ses soucis.
Eren mangeait son dîner seul dans un coin du réfectoire, à bonne distance de Levi et assez prêt de la cheminée afin de réchauffer ses vêtements encore humides. Il observait en silence les autres membres de la Brigade, qui soupait dans la bonne humeur et discutait de choses et autres, comme des collègues normaux dont le métier n’était pas de trucider des monstres de plusieurs mètres de haut. Seul le capitaine se tenait un peu en retrait. Il avait fini de manger et sirotait un café. Des fois, il levait les yeux de sa tasse pour dévisager Eren. Se sentant sous surveillance, le garçon n’attendait qu’une seule chose : l’autorisation de pouvoir quitter cette salle et rentrer dans sa chambre – car oui, il avait eu droit à une chambre personnelle – pour se reposer.
La chambre d’Eren était située dans l’aile principale du manoir, ce qui signifiait qu’il ne pouvait pas en sortir sans que tout le monde le remarque. Il savait que c’était une précaution de plus prise par le capitaine, et, au vu du sourire en coin que ce dernier avait fait quand Eren s’était aperçu de la position stratégique de sa chambre, Levi était absolument satisfait de son initiative.
- Je suis dans la chambre juste en face, avait-il ajouté. Si tu me cherches, tu sais où me trouver.
- Je ne risque pas de venir vous déranger, avait grommelé Eren.
- Eh bien, peut-être que moi oui, avait répondu Levi.
Maintenant seul sur son lit, Eren n’arrivait pas à trouver le sommeil. Il était persuadé que le capitaine avait fait exprès de sous-entendre qu’il pourrait avoir besoin de lui afin qu’il ne puisse pas s’endormir. Ce devait être une autre méthode pour l’entraîner à la dure vie d’Eclaireur. Ou alors, peut-être que cela amusait simplement Levi de prendre Eren comme souffre-douleur, ce dont le garçon ne doutait pas.
Ceci-dit, Eren se demandait également quel genre de vie menait les Eclaireurs. Il savait que leur tâche était d’explorer le monde extérieur, mais, quand ils se trouvaient à l’intérieur des murs, que pouvaient-ils bien faire ? Ils n’étaient sûrement pas tous comme Levi, à se contenter de faire le ménage pour passer le temps. De plus, le QG se situait en pleine campagne, et la ville la plus proche était à un peu plus d’une demi-heure de trajet à cheval. Autrement dit, c’était un lieu plutôt solitaire, et à part faire des promenades dans le bois, il n’y avait pas grandes activités à inventer.
Finalement, Eren parvint à s’endormir, car il était exténué. Cependant il lui sembla qu’il avait à peine fermé l’œil que déjà les premières lueurs du jour venaient le déranger, et avec elles des bruits un peu trop forts pour le petit matin… Eren bondit de son lit avec regret pour regarder à la fenêtre ce qu’il se passait.
Il découvrit avec un mélange d’étonnement et d’incompréhension que les nouvelles recrues des Eclaireurs, toute droite venue du 104e bataillon d’exploration, comme lui, venaient d’arriver au QG.